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Angoisse et indemnisation : une équation complexe ?

 

Publié le mars 13

 

Le Tribunal Administratif de NANTES vient de condamner l’État et la commune de la FAUTE-SUR- MER (85) à indemniser les victimes de la tempête qui a sévi en Vendée en Février 2010. Il était saisi de 4 recours émanant tant des victimes que des familles en deuil. Il a condamné l’État et la commune pour ne pas avoir exécuté des travaux de rehaussement de la digue et a accordé des indemnités au titre de divers préjudices et notamment celui d’« angoisse de mort ».

Dans notre droit français, il est établi depuis 1804 par l’article 1382 du Code civil (devenu 1240 en 2016) que le préjudice corporel subi par un individu dû à la faute d’un autre doit être indemnisé. Outre les préjudices patrimoniaux (comme les dépenses de santé), on admet depuis longtemps maintenant l’indemnisation des préjudices extra-patrimoniaux (préjudice esthétique par exemple). Une somme d’argent est proposée en compensation de ce type de préjudice car il est impossible de procéder autrement…Même si on imagine très bien que l’argent ne va pas permettre la disparition d’une cicatrice et la tristesse de ne plus être le même physiquement qu’avant l’accident…En ajoutant aussi que chacun ne réagira pas de la même façon devant son miroir !

Les souffrances endurées (pretium doloris avant la nomenclature Dintilhac) sont également dans la liste de la catégorie des préjudices extra-patrimoniaux. Ce préjudice répare la douleur physique et psychique ressentie lors de l’accident, puis lors des opérations subies. Un médecin expert va lors de la consolidation de l’état de santé de la victime proposer « une note » qui va de 0 à 7, et à cette note correspond une « fourchette » d’indemnisation. Tout ce processus est établi depuis longtemps et ne génère aucune contestation en général. Depuis quelques années toutefois, est apparue une « sous- catégorie » de souffrances endurées : le préjudice d’angoisse. Il s’agit d’une construction purement jurisprudentielle.

En 2012, la Cour d’Appel de BORDEAUX a réparé l’inquiétude dans laquelle se trouvaient les travailleurs de l’amiante redoutant à tout moment de voir apparaître une maladie liée à ce produit. Ils doivent se plier à des contrôles médicaux réguliers ce qui augmente leur angoisse…Une somme de 7 000 euros a été attribuée à chaque salarié. Poursuivant son chemin, le préjudice d’angoisse est devenu « préjudice d’angoisse de mort imminente » et a permis l’indemnisation des victimes du terrorisme de 2015, de l’accident de PUISSEGIN (accident entre un car et un camion qui occasionné la mort de 43 personnes et 8 rescapés). Dans cette affaire, il a été attribué 50 000 euros à ce titre et il a même été reconnu un préjudice d’attente pour les proches. En 2017, l’indemnisation du préjudice d’angoisse est également acceptée pour la première fois lors d’un incendie celui du Cuba Libre à ROUEN qui a vu périr des jeunes gens.

Cette indemnisation semble donc maintenant être entrée dans les mœurs et ne poser aucun souci. Mais c’est un fait connu, les juristes n’aiment pas l’automatisme et adorent   les raisonnements alambiqués…et notamment mettre des conditions à tout et faire du cas par cas…L’exemple suivant est l’illustration de cette complexité : La Cour de Cassation a rejeté la demande de parents dans un Arrêt du 23 novembre 2017. Leur enfant s’était noyé dans la piscine des voisins et ils avaient assigné la société chargée de la construction de l’abri de piscine et le propriétaire de celle-ci. L’argumentation de la Cour est la suivante : seul est indemnisable le préjudice résultant de la souffrance morale liée à la conscience de la mort prochaine. La perte de la possibilité de vivre n’est pas un préjudice qui a pu être ressenti par l’enfant avant de mourir.

En conclusion si on revient à notre affaire de la FAUTE-SUR-MER, si un enfant de 4 ans s’était noyé dans son lit, il n’y aurait pas eu d’indemnisation car il n’a pas eu la notion du concept de la mort…Mais à partir de quel âge a-t-on cette conscience ? Et si la victime est dans le coma, quel est son degré de conscience ? Et si elle est décédée cinq minutes après l’accident que décide-t-on ? Comme toujours l’indemnisation de tels préjudices crée un sentiment d’injustice ou d’incompréhension dans l’opinion publique…

 

Nathalie JAUSSAUD-OBITZ, Responsable pédagogique