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Train, tramway et Loi Badinter

 

Publié le novembre 21

Le 5 novembre 2006, une collision est survenue entre un train et une automobile, sur le passage à niveau emprunté à la fois par les usagers de la route et par les trains.

Le passager de l’automobile est décédé dans cet accident et les ayants droit de cette victime ont engagé une procédure judiciaire afin d’obtenir la réparation de leur préjudice sur le fondement de la Loi Badinter du 5 juillet 1985.

Rappelons ici que l’article 1 de la loi Badinter est rédigé ainsi : « Les dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres. ».

 

Les ayants droit de la victime demandaient l’application de la loi Badinter en arguant du fait que le passage à niveau est une voie commune aux chemins de fer et aux usagers de la route.

Un arrêt de la Cour de cassation, en date du 16 juin 2011, allait déjà en ce sens mais concernait un tramway et non un train.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation avait décidé qu’un tramway qui traverse un carrefour ouvert aux autres usagers de la route ne circule plus sur une voie qui lui est propre et doit donc être, alors, considéré comme un véhicule ordinaire dont le régime de responsabilité est la loi Badinter.

Dans l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 17 novembre 2016 à la suite de l’accident du 5 novembre 2006, la Cour de cassation consacre la différence de traitement entre un tramway et un train en précisant qu’une voie ferrée n’est pas une voie commune aux chemins de fer et aux usagers de la route, ces derniers pouvant seulement traverser à hauteur du passage à niveau, en laissant la priorité au train, en respect du panneau de signalisation STOP implanté avant le passage à niveau.

Il incombe, selon la Cour de Cassation, aux usagers de la route qui veulent traverser la voie ferrée sur le passage à niveau aménagé à cet effet de laisser en toute circonstance la priorité au train.

En déterminant ici que le train circule toujours sur une voie qui lui est propre même lorsqu’il se trouve sur le passage à niveau, la Cour de cassation a rejeté la demande des ayants droit qui voulaient que les droits à réparation soient déterminés dans le cadre de la Loi Badinter.

Quelles sont les conséquences de cette décision pour les usagers de la route, victime d’un accident impliquant un train ou un tramway ?

Sur le régime de la responsabilité de droit commun, c’est l’article 1242 alinéa 1 du Code civil qui s’applique.

La SNCF peut donc s’exonérer en prouvant soit le cas de force majeure, soit le fait d’un tiers, soit la faute de la victime.

Dans cette affaire, la victime décédée donnait une leçon de conduite à sa fille de 15 ans en dehors de tout dispositif de conduite accompagnée.

Elle a traversé le passage à niveau, de nuit, et l’automobile s’est immobilisée sur la voie alors qu’un train arrivait.

La victime, passager transporté, a commis une faute au regard de l’article 1242 alinéa 1 du Code civil en laissant le volant à sa fille mineure alors qu’elle n’était pas inscrite dans un dispositif d’apprentissage anticipé de la conduite et en l’autorisant à franchir, de nuit, un passage à niveau sans prendre de précautions suffisantes.

Cette faute a été reconnue comme étant de nature à exonérer la SNCF à hauteur de 75 %.

Ce qui veut dire que la SNCF n’interviendra dans la réparation du préjudice des ayants droit de cette victime qu’à hauteur de 25%.

Sous le régime de la Loi Badinter, la société propriétaire du tramway impliqué dans un accident de la circulation alors qu’il se trouvait sur une voie commune aux tramways et aux autres usagers de la route, doit – depuis l’arrêt du 16 juin 2016 – indemniser en totalité les victimes non conductrices d’un VTM de leurs dommages corporels sauf à prouver qu’ils ont recherché volontairement le dommage ou qu’ils ont commis une faute inexcusable, cause exclusive du dommage (au demeurant rarement retenue par les tribunaux).

Seuls ces deux moyens d’exonération sont possibles pour un véhicule à moteur impliqué dans un accident de la circulation routière et :

« Ne constitue pas une faute inexcusable, cause exclusive du dommage pour le passager victime, le fait de donner une leçon de conduite à une mineure même en dehors du dispositif de conduite accompagné ».

Ce qui veut dire que sous le régime de la Loi Badinter, les ayants droit de la victime décédée auraient été indemnisés en totalité de leurs dommages.

La Loi Badinter dont l’objectif premier est l’indemnisation quasi systématique des victimes d’accident de la circulation routière est de ce fait bien plus favorable que le régime de droit commun.

La différence de traitement entre les trains et les tramways s’explique par le fait que ces derniers circulent en ville et empruntent régulièrement, dans les carrefours, des voies communes aux tramways et à tous les autres usagers de la route : piétons, cyclistes, automobilistes.

Appliquer alors la Loi Badinter semblait donc tout à fait justifié, sur le plan juridique.

S’agissant des trains, la loi Badinter ne s’applique donc pas et cela aussi semble acceptable au regard de l’article 1 de cette loi puisque les trains circulent toujours sur des voies qui leur sont propres.

Cependant, il existe en France 15 459 passages à niveau dont beaucoup sont encore dépourvus de barrière de sécurité.

On comptait en France, en 2015, 100 collisions à des passages à niveau ayant provoqué 26 décès.

Ces accidents sont souvent la conséquence d’une imprudence des automobilistes et même si depuis 1997, le croisement au niveau d’une voie ferrée nationale par une voie de communication publique nouvelle est interdit, il n’en demeure pas moins que de gros efforts, en matière de sécurisation et de prévention, restent à faire pour sécuriser les passages à niveau existants.

Liens utiles :

Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation (Legifrance.gouv.fr)

Arrêt n° 1645 du 17 novembre 2016 (15-27.832) - Cour de cassation - Deuxième chambre civile - ECLI:FR:CCASS:2016:C201645 (courdecassation.fr)

Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 16 juin 2011, 10-19.491, Publié au bulletin (Legifrance.gouv.fr)

 

Nathalie ROSE, Responsable pédagogique